samedi 24 novembre 2012

Ynoji - Quemira (xpl011 - Xtraplex Records) 2012



Promesse tenue. Xtraplex n'en fini plus d'étonner, plus encore à chaque nouvelle sortie. Ayant bifurqué vers des sentiers plus expérimentaux le temps d'un Kshhhk il y a de ça quelques mois (d'ailleurs chroniqué au sous sol, les clés de la cave sont ici), la toute jeune structure basée à Gand et menée par Laurentz Groen fait son grand retour, arguments solides en poche (et en bonus, pour les intéressé(es) qui souhaitent en savoir un peu plus, une interview du big boss est toujours disponible du côté d'IRM). C'est donc le beatmaker Ynoji qui prend le relais, déjà auteur de l'excellent NIÑA, partiellement (totalement?) différent du Quemira aujourd'hui à l'honneur.

Lucian Ditulescu de son vrai nom a semble-t-il métamorphosé sa manière de produire, ou du moins sa propre perception de l'électronique, moins d'un an à peine après son précédent et tout premier opus. Naviguant désormais dans des fleuves jazzy relativement sombres, flirtant parfois avec le hip hop, ce nouveau bijou en aura surpris plus d'un. Une fois de plus il faudra souligner le travail accompli autour du sound design. Ce gars là semble avoir compris l'essentiel : pour mettre des grandes claques dans la tronche, la vitesse du bpm ou des kicks à triples mentons ne sont pas forcément nécessaires. Lorsque Recrio en arrive enfin au vif du sujet, les membranes de nos enceintes semblent comme prises de paniques, nous avertissant d'une implosion imminente. Les sonorités sont par ailleurs toujours fouillées et arrangées avec soin, nettoyées avec une minutie digne d'un réseau souterrain d'hyménoptères. Avec si peu d'expérience, difficile d'imaginer ce que cela donnera d'ici quelques années. Une chose est sûre néanmoins, Ynoji n'en a pas fini avec nous.

Encore une fois doublé d'un visuel estampillé Han Leese, la production étonne d'emblée par l'assortiment de beats qu'elle nous offre. Un certain exotisme vient envelopper ce Quemira d'un voîle mystique et franchement jouissif, venant se glisser à la suite du gargantuesque drumkit d'un Roma susceptible de filer la pêche à n'importe quelle gueule de bois lors d'un dimanche après-midi grisâtre. Ethnique, électrique, éclectique, liste non-exhaustive, autant d'attributs réunis en 30 minutes de rouste implacable, où les chemins de traverses sont sillonnés avec respect des partis puisqu'au final cette macédoine là glisse comme un pet sur le verglas. Souvent, le glitch est mis de côté, reste toutefois présent mais l'accent est placé sur le soundscaping qui tire la galette vers des perceptions plus cinématographiques au gré de la progression des morceaux. Polegar et ses doux airs lointains en sont le parfait exemple. Une franche réussite de ce côté là, et des autres aussi d'ailleurs. Alors que l'on pensait à ce stade avoir cerné l'étendue de l'univers tout fraîchement dessiné, l'individu nous prend une nouvelle fois à contre-pied avec Melhorar: son introduction aux allures d'Isam, son drum dévastateur solidement soutenu par une mélodie entêtante amenant finalement le morceau à lorgner vers une certaine forme d'Abstrackt Keal Agram carrément épique.

Ynoji réussi donc un coup de maître en faisant évoluer son univers avec brio. Xtraplex consolide son image de label électro de l'année. Nous nous arrêterons sur lui d'ici quelques mois à l'occasion d'un ambitieux projet à venir (ambitieux au vu de la renommée du blog). En attendant cela, festoyez comme il se doit et dégustez ce chef d'oeuvre en écoute complète, que vous pouvez soutenir à hauteur de la somme que vous souhaitez.

Have Faith!



dimanche 18 novembre 2012

Talvihorros/Ekca Liena - Swarms with Swarms (TQA026 - TQA) 2012




Lorsque deux monuments de l'ambient/drone choisissent de s'associer le temps d'un split, difficile de passer à côté de ça. À ma gauche, le poids lourd Ben Chatwin, Talvihorros pour les accoutumés, qui publiera dans quelques jours son nouvel opus "And it was so" sur la structure Denovali. À ma droite, pour la troisième fois dans nos pages, nous retrouvons le très productif Ekca Liena qui s'affaire aux trois dernières pistes. Ne tergiversons pas des années là dessus, ce Swarms with Swarms est une gigantesque réussite.

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Sombres recoins d'un site industriel délabré, raffinerie désaffectée, plate forme pétrolière. Un crépuscule pesant s'installe, c'est en apparence un univers dépourvu d'âmes que laisse suggérer l'ouverture, le bruissement des métaux, les plaintes de l'acier, les projections organiques diverses s'inscrivent progressivement dans l'atmosphère jusqu'à en ressentir les symphonies mélodieuses subtilement jouées par les esprits à l'ouvrage. Affairés ici et là, ces spectres rugissant recréent une nébuleuse semblable à un idéal qui semblait à jamais perdu. Ces formes volatiles semblent vous conduire jusqu'au sommet de ce lieu, cet imposant édifice, symbole de la grandeur de l'homme, petit à petit repeuplé de forme fantomatiques aux allures animales. Celles-ci vous approchent, félidés constitués de matériaux carboniques rayonnant aux couleurs de la nébuleuse qui s'étend jusqu'au loin comme un drap aux couleurs du spectre lumineux, se reflétant de mille feux sur un vaste océan aussi brillant, que bleu, désormais incandescent. Des chants emplis de lamentations, d'émissions sonores animalières totalement irrégulières, c'est une fable féerique, un avertissement de la nature qui ne saurait être perçu par des oreilles communes dont l'envie, l'avidité n'auraient laissé aucune place à l'empathie ou à la bienveillance.

L'ambiance, ce rêve, infini, nous transporte, à en perdre toute temporalité. Un bruit sourd lointain, une pluie battante? L'incandescence un moment retombée, au sommet de cet amas métallique un léger brouillard persiste, des remous, des variations, une transition lente, paisible perdure, ponctuée par les sons de cloches émis par les bouées de navigation. Un banc, une nuée de créatures volatiles et amphibies s'agitent aux loin. Leurs chants portent jusqu'à vos oreilles, les vagues s'agitent, le vent jusqu'alors d'un calme fascinant décuple sa force, redouble d'intensité, la mer s'agite et l'écume des vagues semble attaquer la plate forme dans son intégralité, un train sorti des abysses vient perforer les masses rocheuses émergeant des profondeurs. La structure toute entière vacille, comment s'en sortir, sinon en s'accrochant à quelques rambardes dont la solidité a été altérée par le fracas on ne peut plus violent de ce qui apparaît comme un déluge assourdissant. Hasard ou chance prononcée, la vaste étendue d'eau semble vouloir retrouver peu à peu la normale. Laissons les éléments en paix, car en paix, les éléments nous laisseront.

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Plaies ouvertes et peau en lambeau, les séquelles sont lourdes, le bonheur est quant à lui paradoxalement immense. De l'épique introduction éponyme jusqu'aux dernières émanations de cordes de Delatinised, les morceaux nous saisissent à la gorge et confirment une fois de plus la virtuosité des deux accolytes.

Have Faith!


-Trebmal-



jeudi 8 novembre 2012

D.Rhöne - Chapt​.​I (Self Release) 2012



Anesthésie générale ou profonde méditation, balance équitable au terme des 66 minutes enivrantes au possible de ce Chapt.1, premier album du projet D.Rhöne qui n'est autre que l'alter ego de Mathias Van Eecloo, dont le main project Monolyth and Cobalt vous parlera peut-être davantage. Beaucoup plus conceptuel, mais également empli d'un minimalisme certain, les longues plages gratifiées du dénominateur commun " Arcane " laissent place à un presque-silence balayant les 5 phases avec une harmonie lénifiante.
Les restrictions instrumentales (volontaires bien entendu) permettent de bâtir un espace sonore gigantesque, accru par quelques rares effets étendus sur la longueur, fondus avec extrême délicatesse.

Ecoute au casque préconisée. Il va sans dire que les lieux dépeints ne sont pas aisément abordables, la seule condition étant d'allonger le bras, puis de laisser le flux gorgeant l'intraveineuse faire son travail et vous endormir doucement. Le schéma corporel se modifie peu à peu, les perceptions se floutent, l'apesanteur se fait sentir. Et vous êtes là, sourire aux lèvres, appréciant chaque milliseconde de ce moment si unique. Chapt.1, c'est comme revivre cet instant mais s'apercevoir qu'il durera une éternité. Arcane 18.21 fait son entrée sur un assemblage cotonneux d'instrument à clapet libres tout aussi fragile que sa puissance mélancolique pourtant si feutrée. Les doux effleurements de ce qui s'apparente à un hautbois baryton sont d'un charme sans égal, les apparitions ne sont que futilement perceptibles, toujours à fleurs de peau. Le souffle est léger, parfois plus sec, sorte de spasme vrombissant et lisse contrecarrant les textures finement perçantes du clavier à vent. Un grand moment. L'espace est à moitié vide, ou du moins parsemé de brouillard épongeant toutes fréquences sonores se risquant à percer son voile. Quelques exhalations chétives parviennent pourtant à se frayer un timide chemin vers une fascination surnaturelle. Cet album renvoie un sentiment très singulier, celui de ne rien entendre, mais à la fois de percevoir un nombre incalculable de choses en fouillant un tant soit peu.

Pour cette fois, nul besoin de s'étendre davantage, l'album en dit déjà assez malgré son air taciturne. Expérience onirique et unique en son genre, très fortement conseillée pour qui adule les poupées russes. Le réveil sera dur mais comblé de révélations, frustrant mais laissant quelques séquelles inoubliables. Version CD limitée à 50 exemplaires.

Have Faith!