mercredi 22 août 2012

Trollhead - On the loose (BR044 - BedroomReseach) 2012





J+1. Me voilà embarqué depuis 24 heures dans cette navette de 3ème génération et déjà le champ gravitationnel de Trollhead agite mes senseurs, happant le vaisseau dans une frénésie cahotante. A mesure que j'enregistre ce premier rapport à destination du consortium Bedroom Research, l'atmosphère se fait de plus en plus opaque, à l'image de cette planète fuligineuse que j'ai vu grandir et se rapprocher dans mon hublot depuis des heures. Bientôt, ce qui ressemble à l'équivalent de nos pluies acides commence à s'abattre sur la coque, rongeant la peinture à vue d'oeil. Je télécharge les dernières infos sur la topologie du vallon où je suis censé poser l'appareil. Atteindrai-je en un seul morceau la surface du monde mystérieux que ce groupement de recherche cybernétique en plein essor m'a chargé d'explorer?





J+2. Au lendemain de l'atterrissage, la chaîne d'assemblage du véhicule tout-terrain s'affaire, sous les consignes vocales de l'autopilote. Drôle de vision que cette machinerie enchâssant des pièces de métal et serrant des boulons dans un train-train qui pourrait presque paraître rassurant si ce n'était cette plongée dans un inconnu sinistre comme la suie qui m'attend à l'extérieur, tout sauf accueillant malgré son atmosphère d'une composition semblable à la nôtre. Combien de chances y avait-il pour que cet air soit respirable ?... Mais trêve d'hésitation, à mon tour de m'adonner à la routine des préparatifs, je pars vraisemblablement pour plusieurs jours en direction des artefacts technologiques repérées par nos sondes Atomhead et Ronny Ragtroll. Entre excitation et appréhension, la sempiternelle question assaille de nouveau mon esprit gagné par la fatigue du voyage supraluminique : qu'est-il donc arrivé à ces engins depuis leurs dernières transmissions ?




J+3. Impossible d'y voir quoi que ce soit à plus de dix mètres entre deux décharges électrostatiques fendant l'atmosphère comme des flèches depuis le ciel constamment lourd, et pourtant c'est un vrai plaisir de conduire le Humvee bondissant de dunes en cratères, le moteur vrombissant pour escalader les reliefs rocailleux. Au bout d'un canyon rocheux, je dois m'arrêter brutalement pour laisser passer un troupeau d'étranges quadrupèdes aux vagues allures de bovidés, cavalant à l'aveugle en se heurtant les uns les autres et pour cause, aucun signe d'un quelconque organe de vision sous leurs cornes difformes et proéminentes. Une pensée m'étreint au regard de leur masse musculaire comparable à celle d'un éléphant : que peuvent bien avaler de telles créatures dans ce désert de pierre et de poussière ? La réponse m'est bientôt dévoilée en poursuivant mon périple : à défaut de végétation digne de ce nom, les rares espèces peuplant ces contrées inhospitalières ont pour la plupart adopté un régime cannibale...




J+4. Signalées par mes radars depuis la veille, j'observe enfin de visu les gigantesques infrastructures en contrebas du promontoire rocheux où j'ai caché le Humvee accidenté sous une toile de jute, et elles n'ont rien d'abandonnées. Les professeurs Deschuyteneer et Robbe ne s'étaient pas trompés sur la teneur des images rapportées par nos modules d'exploration disparus, et impossible pour moi désormais de repartir pour leur transmettre cet enregistrement crucial. C'est tout juste si les jumelles à rayons X me permettent de percer le voile de ténèbres qui obscurcit ce monde de jour comme de nuit, mais les mouvements de troupes qui s'offrent à mon regard sont sans équivoque. Des dizaines, peut-être même des centaines de milliers de créatures humanoïdes aux corps décharnés et aux orbites vides se prêtant aux exercices martiaux d'un entraînement guerrier dans une synergie bien trop parfaite pour être honnête, leurs armes aux lignes organiques crachant des lasers à intervalles réguliers sur autant de cibles mouvantes. En m'approchant à flanc de coteau, je constate avec horreur que ce camp militaire aux architectures métalliques est loin d'être unique en son genre, premier maillon d'une chaîne monumentale de bâtiments bien alignés en rangs d'oignons. Pire encore, la vision d'un écran holographique surplombant ce qui semble être l'un de leurs halls d'état-major m'informe sans aucun doute possible sur la nature de leur cible : une petite planète bleue riche en ressources que je m'inquiète désormais de ne plus jamais revoir.




J+5. Je ne suis toujours pas en mesure de réaliser la chance qui m'a permis d'arriver entier jusqu'ici, passager clandestin d'un des milliers de vaisseaux-mères aliens en route pour une terre promise qui s'avère par un cruel coup du destin être celle d'où je viens. Caché derrière les grilles d'une conduite d'aération, j'observe ces bipèdes effilés aux oreilles de renard, hauts d'environ 2m50, connecter leur système nerveux aux flux électriques de leurs exosquelettes motorisés, signe que le voyage touche à sa fin. D'un système solaire à un autre, quelques heures auront suffi à sceller le destin d'une civilisation millénaire. A moins que je ne parvienne à saper leur effet de surprise, puisque la destruction de masse ne semble pas faire partie des plans de cette titanesque fourmilière en migration ? Mais même alors, que pourrons-nous face à une technologie dont on ne trouve l'équivalent sur Terre que dans les romans ou au cinéma ?




J+6. Je les suis à distance à la lumière de la Lune depuis déjà une heure. Par chance, un atterrissage en terrain forestier ne leur a pas facilité la tâche, mais l'éloignement de toute civilisation ne me permet pas davantage de prévenir qui que ce soit. Les envahisseurs et leurs machines de guerre font leur possible pour avancer en silence, mais les inégalités du terrain rend leur déplacement malaisé et pour le moins hésitant. Je ne sais pas si vous recevez ces rapports émis directement par ondes distantes à l'aide de ma radio de terrain, mais nous n'avons plus beaucoup de temps pour les arrêter. Il faudrait... attendez... un groupe de créatures armées vient de bifurquer dans ma direction... des ordres crépitent dans leurs radios... je suis repéré ! Fin de transmission, dites à ma femme et à mon fils que je... krztzkz.




J+7. Ils ont pris le contrôle de mon esprit, je suis l'un des leurs désormais... et pourtant... si mes actions sont sous l'emprise d'une volonté unique contre laquelle il m'est impossible de lutter, je suis toujours libre de mes pensées, tout en partageant leurs pulsions aveugles de pillage et d'épuration. J'ai également découvert que je pouvais communiquer par vibrations mentales avec tout réseau à ma portée, d'où cette ultime tentative de contact, certainement vouée à l'échec. Le jour est en train de se lever et... quelle est cette étrange sensation ? Alors qu'aux premières lueurs de l'aube se dévoile finalement la végétation à terrain découvert, c'est comme si le foisonnement de couleurs et de vie de la campagne environnante m'apparaissait pour la première fois. Comme si je ressentais ce que ressentent au même instant ces créatures de désolation en découvrant ce qui s'apparente à leurs yeux à un paradis tel qu'ils n'en ont jamais connu. Dans cette clarté pastel, je sens ces instincts de mort partagés avec mes nouveaux congénères s'estomper au profit d'une étrange sérénité et même... d'une conscience insoupçonnée de la valeur de l'existence ? Serait-il donc possible de s'entendre et de cohabiter ?...





Rabbit (blog Des cendres à la cave) & HFIS




vendredi 17 août 2012

Colony / Akito Misaki - Cities Apart (IIIHIII 03/2012)




Les premiers instants sont cruciaux. La lecture est lancée, et il suffit parfois de quelques poignées de secondes pour comprendre que l'oeuvre tiendra toutes ses promesses. Tendus comme des nerfs de boeufs, nous laissons s'écouler les pistes en espérant que le plaisir se prolonge sans interruption. Une certaine angoisse qui toutefois s'estompe au rythme de l'engrenage des morceaux. Tel est le cas de ce Cities Apart, bouleversant dès son entrée en matière. Né de l'association de Colony et Akito Misaki, l'album en question réunit deux musiciens qui en réalité ne se sont jamais rencontrés, peut-être même jamais vus ne serait-ce qu'en photo. Quelques conversations sur les réseaux sociaux par mails interposés ont suffit pour mettre à l'unisson les intéressés. Dumoins c'est ce que semble démontrer le fruit de cette collaboration étonnante. Deux inconnus qui pourtant donnent l'impression de se connaître sur le bout des doigts. Car même si chaque piste (mise à part Still Sending Letters) est produite à tour de rôle par chacune des deux têtes, l'enchaînement laisse à penser que le duo a fusionné en une seule et même entité.

Chef d'orchestre de cette pièce intimiste nageant entre néo classique, ambient et electronica cotonneuse, la piano est omniprésent sur les morceaux du Japonais, mais totalement absent en ce qui concerne Colony.
C'est en tout cas un penchant assurément nostalgique qui vient couvrir l'album d'un linceul de soie grisâtre, et qui équilibre la balance de la double vision de ce Cities Apart, qui peut être compris de bien des manières. Sorte de portrait urbain en 9 phases, le disque semble exprimer un souhait de renouveau, ou une certaine angoisse des années à venir. Libre à chacun de s'inventer sa propre histoire, car les associés ne semblent pas mettre en avant un message précis, ou détenir une vérité irréfutable. Tel que Colony le dit lui même, " As usual, I'm not going to tell you what this music is really about. Go and check for yourself. We all have different answers. Maybe yours is better than mine. Maybe it is the right one. Maybe not. ".

La libre interprétation, raison principale pour laquelle le contenu est si attachant, car chaque piste peut refléter des sentiments plus personnels.
Nous défendions plus haut la prépondérance des premiers instants. Votre épopée subliminale débute en un claquement de doigt, comme si le déclenchement du premier morceau vous hypnotisait en déboursant rubis sur l'ongle. Les douces émanations electronica tendent à disparaître au fil des titres, tous plus beaux les uns que les autres. Le glitch délicatement saupoudré apporte un réalisme certain, mimant les imperfections et autres erreurs de geste d'une sculpture de marbre d'ores et déjà achevée, qui excelle par sa perfection physiologique. Le beat n'est représenté qu'en première partie, mais parlons-en. Rarement à mes yeux il n'aura paru autant en adéquation avec ce qu'il accompagne. Entre les battements sourds du sublimissime Memory. Past. Future. Crime And Punishment, les clicks and cuts aiguisés de Wearing The Dress Of Someone Else ou encore la rythmique crépusculaire d'un The House Of My Dreams Is Made Of Glass, il apparaît évident qu'en dépis d'un très grand soin accordé aux nappes, les drums sont loins d'être mis de côtés. Au contraire, les couches coexistent en pleine démocratie, chacune venant ajouter sa pierre à l'édifice. Le piano de l'un et les nappes analogiques de l'autre bouclent cet album. Il n'y a aucune comparaison à tenir entre les deux hommes, chacun a sa technique, son instrument fétiche. Une chose est sûre, ils s'aspirent mutuellement vers le haut. 

Tomber sur un bijou comme celui-ci est je pense la meilleure manière de contourner la règle première du blog qui se veut à la base anti-actualité. J'espère donc que vous me pardonnerez. Une dernière chose, pour enfoncer le clou, l'album est téléchargeable gratuitement...

Have Faith!



lundi 13 août 2012

Nova deViator - Expression front (2001)




Si ce nom vous est inconnu, permettez moi d'ajuster le tir. Plus récemment présent sur la compilation Fabriksampler V4  mise en vente par l'écurie Pharmafabrik dont on parlait il y a quelques temps ici, le slovène Luka Prinčič donne de la voix sur le morceau They give us body relativement turbulent aux côtés de Neven M. Agalma, Cezary Gapik ou encore du français Franck Vigroux. Si vous connaissez Matija Ferlin, peut être votre route a t-elle pu croiser en chemin Sad Sam Lucky Outtakes, généreuse offrande ambient/drone réalisée par notre Nova deViator en parallèle du manifeste éponyme proposé par le chorégraphe croate susmentionné, rendant lui-même hommage aux travaux du poète slovène Srecko Kosovel. Un album qui aurait pu aisément terminer sur ce blog s'il n'était pas si récent. Un jour peut-être!
Luka prend plaisir à s'aventurer sur plusieurs terrains différents.Tantôt propice à la sérénité, tantôt à la frénésie noise, sa musique joue un double jeu. C'est ce même constat que l'on déterre une nouvelle fois via ce Expression front, résultat direct du Communication front 2001 qui se déroulait en Bulgarie, plus précisément à Plavdiv.

Du noise. Mais pas n'importe lequel. Ayant recueilli quelques discussions et avis auprès des personnes présentes à l'évènement, le slovène nous soumet donc un travail 2 en 1. D'une part les enregistrements spontanés auxquels il se joint également, placés aux extrémités des pistes, et d'autre part la participation plus "personnelle" du musicien. Album assez spécial en somme, puisque les essais expérimentaux laissent une place importante aux discussions. Rassurez vous, le tout est très bien amené, et apporte un certain mystère à l'ensemble. La rythmique émanant de cette radicalité noise témoigne d'un grand talent en la matière. L'homme dompte sa monture avec agilité et brio, donnant naissance à des séquences disloquées mais néanmoins profondément jubilatoires, à l'image de l'Expression front 002. Les textures se mêlent, s'entrechoquent, fusionnent, donnent vie à de nouveaux organismes qui à leur tour se combinent. Le résultat est ahurissant et surtout inhabituel, rarement on a entendu quelque chose de semblable, d'aussi émouvant finalement...

Pour autant , les pistes ne se résument pas à ce cheminement rocailleux. Monsieur deViator humanise en douceur ses morceaux (en plus des conversations) en leur incrustant quelques nappes ou mélodies translucides, comme pour amortir le choc, ou désinfecter la plaie. Ceci n'étant valables que pour les variations 002 et 003, au contraire de la 005 qui pousse son agressivité à un niveau aussi aride que brutal.
Outre les magnifiques stridences des premières démonstrations, c'est vers le drone que s'engage le slovène, drone tout à fait obsédant compte tenu des chuchotements répétitifs balayant le quatrième chapitre.
Le seuil minimaliste est atteint avec l'ultime effort comateux 006. Le musicien jongle entre bruit et silence, ce dernier prenant presque le dessus à vrai dire, en tout cas à travers la première minute. Les voix se veulent plus discrètes, l'horloge tourne au ralenti et parfois même recule de quelques secondes. Tout le travail repose sur les reverbs' et son penchant pour l'absence de stimulus auditifs.

Luka Prinčič signe ici un album fascinant et insondable qui conforte une fois de plus le talent de l'Europe de l'est pour l'expérimentation. Peut-on vraiment appeler ça un album? Il est possible que chaque phase soit en réalité autonome, ce qui expliquerai la présence de covers pour chacune d'entre elles (ici). En bref, un chef d'oeuvre. Rarement le noise ne m'aura autant séduit.

Have Faith!


dimanche 12 août 2012

Clubroot - S/T - Clubroot (LODUBS​-​09002 - LoDubs Records) 2009


Daniel Richmond, anglais de naissance, peut être fier de son coup. Premier effort cacheté sous son pseudonyme Clubroot, cet album éponyme impose sans entremise une certaine admiration. Ce jet initial a donné naissance par la suite à deux nouveaux albums en apparence produits en continuité du premier. En écoute ici pour le Clubroot - S​/​T (II - MMX), et ici pour le III - MMXII. Surgit des entrailles du label Lo Dubs basé dans l'Oregon aux Etats-Unis, le travail de Daniel est souvent comparé à celui d'un dénommé Burial.

Information à moitié erronée selon moi, car il suffit aujourd'hui de produire du dark/deep dubstep pour être catalogué comme un vulgaire plagieur de William Emmanuel Bevan. Il est évident que le rapprochement est un peu trop facile. Il y a des similarités, on ne va pas vous mentir, surtout en seconde moitié d'album dont on reparlera plus tard, mais la musique de Clubroot détient tout de même un style qui lui est propre. Point de rebuts R'n'b gémissant et autres craquements de vinyles, préférons donc des beats plus accentués et des subs mis en exergue avec plus de franchise aux rythmiques 2 steps étouffées, marque de fabrique de l'auteur acclamé du désormais classique "Untrue". La production est également plus électronique qu'organique. Les synthétiseurs délivrent une puissance beaucoup moins contenue, l'émotion s'extériorise plus qu'elle ne se bride. Et c'est de là que découle toute la différence entre les deux anglais. A défaut d'être perpétuellement triste, le ton se veut parfois plus menaçant et bien moins à fleur de peau, pour en terminer avec cette comparaison.

De sombres contrées brumeuses et incommensurables, c'est ce que laisse entrevoir cette petite fenêtre à travers laquelle notre imagination tente de dépeindre ce paysage à la fois fascinant et désertique. C'est en tout cas ce que la cover peut nous inspirer. S'offre à nous un climat glacial et anesthésié à l'écoute des premières secondes de Low Pressure Zone qui laisse présager un travail de soundscaping bluffant, présage qui se révéleras exact avec le bouleversant Embryo aux nappes bourdonnantes couronnées par des snares à la fois incisifs et aériens. La marque dubstep propre aux effluves du style du début des années 2000 est plus reconnaissable sur des morceaux tels qu'High Strung ou encore Dulcet, tout bonnement magnifique. Peut-être l'un des meilleurs titres taggé dubstep qu'il m'ait été donné d'écouter. Un sub discret et élégant, des intrusions de samples éthérés et volatiles en font l'une des pièces les plus réussis de l'album. Quelle classe.

L'art du soundscaping est mis à profit sur Birth Interlude, piste totalement destituée de rythmique qui scinde l'album en deux partie presque distinctes. Car oui, à partir de ce moment, l'influence Burial est flagrante. Talisman et Sempiternal (grandiose) ne me contredirons pas. Je ne le cache pas, je considère Burial comme un génie, même si ce n'est pas le cas de tout le monde. Il n'empêche que son influence a du bon, surtout lorsque l'on tombe sur des perles telles que ce Clubroot. Premier album, première claque, ça ne pouvait augurer que de bonnes choses pour l'homme originaire de St Albans.

Have Faith!


dimanche 5 août 2012

Einóma - Milli Tónverka (VFORM031 - Vertical Form) 2003


Adulateurs ou adulatrices d'IDM concassée, vous suivez le chemin qu'il faut. Vous qui chérissez tant les VNDL, les Dodecahedragraph, les sublimes sorties signées Xtraplex ou Tympanik, votre incessante quête de sonorités organiques aux rythmes brisés devrait se poursuivre plus qu'honorablement grâce à cet album proposé par un duo Islandais pour le moins exceptionnel. La carrière de Bjami Þór Gunnarsson et Steindór Grétar Kristinsson en est encore à son exorde lors de la sortie de ce Milli Tónverka qui étonne tout autant qu'il impressionne, car je dois avouer que les deux acolytes sont loin d'être débutants en matière de musique abstraite. Einóma aligne son savoir faire indiscutable en sound design pour les fractions cybernétiques enveloppant l'album, même s'il reste certains que leur talent déteint avec autant de réussite sur les mélodies accompagnatrices.


Avec le recul, Milli Tónverka, qui a déjà presque dix années d'existence, reste irréfutablement dans la course, et ne souffre absolument pas de son âge avancé, sur une scène qui se veut en priorité innovante. Il n'apparaît alors pas étonnant que cet album ai reçu des retours si positifs, tant il fut en avance sur son temps. Paru sur la sérieuse structure Londonienne Vertical Form créée peu avant l'aube du troisième millénaire, la production se rapproche parfois d'Integral (The past is my shadow) dans sa manière de traiter ses drums ou d'insérer quelques émanations de cordes (Blindhæðin). De quoi rassurer les allergiques du cybernétisme sonore poussé, que l'on défend tant dans ces pages. Le talent dévoilé ici n'est pas une surprise en soi, si par bonheur Undir Feilnótum a croisé votre route. C'était en 2002, c'était un premier coup d'essai, c'était déjà fantastique (écoute ici).

La barre est placée encore plus haute, et la punition est infligée d'emblée par Á floti dont la cadence au premier abord bancale est soutenue par les nappes obscures qui viennent arrondir les angles de cette piste verbeusement inflexible. Le beat est solide, puissant, les kicks lourds et sourds à la fois démolissent les entres à grands coups de béliers qui prennent alors des allures d'hydres invulnérables blindées à l'acier trempé et au béton armé. Les pistes sont la plupart du temps très alimentées, les moments de répits sont souvent brefs et inquiétants, autant dire que la démonstration de force sera éternelle. Samples liquides, rythmes opaques et mélodies cristallines se font échos sur le somptueux Eindir qui fait office de transition de l'obscur vers un renouveau plus étincelant, une grande bouffée d'air à la surface avant une seconde descente dans les abysses (Öldugangur). Les silhouettes disparaissent dans les tréfonds de l'immensité dont on ne discerne plus rien désormais. Le silence s'empare de tout, nos seuls sens rescapés nous jouent des tours, on se sent comme scrutés, les formes nous frôlent, nous heurtent, notre corps perçoit les remoues et l'angoisse monte, obstruant nos seuls faits et gestes. Glacial morceau que ce Vetrarvélin, stéréo obligatoire pour vivre pleinement l'expérience sonore créée par les deux compères. Les blips font état de l'immensité du lieu dépeint, nos yeux ne pouvant désormais plus rien capter du paysage présent. Troublant. 


La suite est toujours dans cette lignée intrigante qui a je l'espère fait le bonheur de vos oreilles lors de l'écoute des premières pistes. Ces Islandais sont de réels artisans du son, se jouent se l'espace et du temps avec autant de facilité qu'un gamin trifouille sa pâte à modeler. Et lorsque le rideau se ferme sur Blindhæðin,  on ne peut que hausser les sourcils et rester bouche bée pour un duo qui vient de nous achever en nous submergeant de maîtrise, et qui vient de propulser cet album sur le podium du blog. Un sans faute, plus que vivement recommandé vous l'aurez compris.


HAVE FAITH